Au front de la bataille climatique, la filière forêt-bois se mobilise, forme et recrute
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La filière française manque de main d’œuvre, alors qu’elle est pourtant confrontée à des bouleversements et défis historiques. Les acteurs du secteur se mobilisent pour sensibiliser la société à ces enjeux inédits, les propriétaires forestiers et les candidats à l’embauche.
Le paradoxe saute aux yeux : quatrième pays le plus boisé dans l’Union européenne, avec plus de 17 millions d’hectares de forêts couvrant près d’un tiers de son territoire, la France manque pourtant de bras pour gérer, entretenir, protéger et valoriser cette ressource précieuse et essentielle à la réalisation des objectifs climatiques et environnementaux. Une pénurie de main-d’œuvre qui ne date pas d’hier et n’épargne aucune région métropolitaine. Dans les Hauts-de-France par exemple, « entre 5 800 et 7 100 embauches sont prévues cette année », d’après les chiffres de l’observatoire de la filière bois-forêt de la région. « On recrute », confirme Fabienne Delabouglise, déléguée générale de Fibois Hauts-de-France. On recrute… mais les candidats ne se bousculent pas.
« Une filière riche de métiers et porteuse d’emplois d’avenir »
En cause, une perception négative de certains métiers, qui découle de leur nature essentiellement masculine et de leur pénibilité supposée. Si cette image recèle bien un grain de vérité, l’adoption croissante de nouvelles technologies a cependant allégé la difficulté de bon nombre des tâches. À l’origine d’une demande si basse agissent parfois de réels mirages de l’esprit : par exemple l’idée que ces métiers s’inscrivent à rebours des préoccupations environnementales. « Aujourd’hui, lorsqu’on abat un arbre, on est mal vu », déplore la dirigeante locale de Fibois. Des préjugés qui se jouent des frontières régionales : en Bretagne aussi, « on a du mal à recruter, alors que c’est une filière riche de métiers et porteuse d’emplois d’avenir », regrette Anthonin Marchais, chargé de mission chez Fibois Bretagne.
Pour valoriser la diversité de ses métiers et les mettre en lumière, la filière forêt-bois a récemment lancé le projet Very Wood Métiers. L’objectif : promouvoir les métiers de la forêt et du bois, des métiers « bons pour l’économie, bons pour le cadre de vie, bons pour la planète et utiles ». Pour ce faire, l’initiative est active sur les réseaux sociaux et plus particulièrement sur Tiktok, mais aussi dans la vraie vie, en témoigne l’organisation de journées portes ouvertes du 4 au 6 octobre. Un moyen efficace pour sensibiliser les étudiants en pleine orientation ainsi que les personnes en reconversion professionnelle. Une initiative d’autant plus nécessaire pour une filière « sous tension » même dans les régions les plus sensibles comme en Gironde, un département victime des gigantesques incendies de l’été 2022.
Des enjeux complexes qui nécessitent une formation adaptée
La lutte et la prévention contre les incendies font justement partie des enjeux auxquels il faut former la nouvelle génération de professionnels de la forêt. Avec le réchauffement climatique, les forêts sont plus sèches, et le risque incendie s’étend donc tant géographiquement que temporellement, touchant des régions jusqu’alors épargnées, et ce, presque tout au long de l’année. Le dérèglement du climat favorise également la prolifération des maladies et des ravageurs, entraînant un dépérissement des arbres ; il faut donc adapter les forêts à ces nouvelles conditions climatiques, en sélectionnant des essences d’arbres mieux adaptées. Victime du réchauffement, la forêt est aussi un atout contre ce phénomène : véritables pompes à carbone, les arbres captent et stockent le CO2 atmosphérique.
Enfin, les forêts représentent un havre de biodiversité, mais aussi un important réservoir d’eau et une ressource primordiale pour tous les usages du bois (construction, énergie, etc.), dans un contexte où les consommateurs ont de hautes exigences en matière de certification et de traçabilité.
La forêt est donc au croisement de nombreux enjeux absolument centraux. Environnementaux bien-sûr, mais aussi économiques, sociaux et sociétaux. Et c’est la raison pour laquelle elle se doit, un peu comme le serait « un jardin », d’être cultivée et gérée durablement par l’Homme, comme le rappelle dans cette vidéo le gestionnaire forestier Sylvestre Coudert. Encore faut-il, pour cela, disposer des talents et compétences nécessaires : qualitativement, avec des professionnels dûment formés à ce vaste éventail d’enjeux, mais également quantitativement. En effet, la surface boisée française a doublé en deux siècles : si cette extension de la forêt française témoigne du travail accompli par la filière bois-forêt, elle entraîne aussi, mécaniquement, un besoin accru en main d’œuvre. En quelque sorte, les acteurs de la filière sont donc victimes de leur propre succès : c’est parce qu’ils ont contribué à étendre la forêt que celle-ci a, aujourd’hui, besoin de nombreux bras – et cerveaux – pour l’entretenir et la protéger.
Se former en continu aux nouveaux enjeux
Pas question, pour autant, que les professionnels du secteur se reposent sur leurs lauriers. Les nouveaux enjeux forestiers et la rapidité des bouleversements à l’œuvre – mais aussi la découverte de nouvelles solutions, de nouveaux outils – imposent en effet une constante remise à jour des compétences, notamment via la formation continue. Les propriétaires de parcelles boisées peuvent ainsi, par exemple, bénéficier d’une offre de formations courtes dispensées par Fransylva, la fédération des syndicats de forestiers privés. Une démarche de sensibilisation qui, pour nécessaire qu’elle soit, ne doit pas faire oublier que les acteurs de la filière n’ont pas attendu que le réchauffement climatique s’emballe pour réfléchir et agir.
Comme l’écrit Jean-Michel Servant, le président de France Bois Forêt, dans le dernier numéro de la Revue de l’interprofession, depuis bien longtemps, « les forestiers et transformateurs de bois que nous sommes ont compris que les forêts de demain ne ressembleront pas à celles dans lesquelles ils ont grandi puis travaillé. C’est notre rôle d’aider nos forêts à s’adapter, à se transformer pour leur permettre de continuer à jouer leur rôle, à répondre aux besoins de la société et à préserver le vivant ». En première ligne face au dérèglement du climat et à ses conséquences, les métiers de la filière bois-forêt apparaissent donc comme des opportunités d’avenir pour les candidats préoccupés par la préservation de notre planète et de ses poumons verts. Car, pour reprendre les mots de Jean-Michel Servant, « le combat contre le changement climatique se gagnera avec le bois et la forêt », ou ne se gagnera pas.