L’Europe est-elle à la traîne dans la course à la 5G ?
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Le déploiement de la technologie 5G est déterminant pour la nouvelle génération des services connectés et pour la compétitivité des pays. Face au boycott par les États-Unis du chinois Huawei, leader mondial de la 5G, la France et l’Europe semblent plutôt enclins à tirer le meilleur de cette technologie, tout en restant vigilant sur les risques sécuritaires.
La cinquième génération de technologies pour les réseaux sans fil et mobiles est déjà là. Annoncée comme au moins dix fois plus rapide que la 4G et sans latence, les enjeux de cette nouvelle technologie sont colossaux pour de nombreux secteurs d’activités. En médecine, la 5G facilitera par exemple l’accès aux soins à distance ; dans la logistique, les robots optimiseront la gestion des stocks et détecteront immédiatement toute anomalie ; dans les transports, les véhicules intelligents voire autonomes seront connectés entre eux et aux systèmes de signalisation pour réduire les risques et fluidifier le trafic. La liste des applications potentielles est longue. D’ici 2035, la 5G devrait avoir apporté pas moins de 12,3 trillions de dollars à l’économie mondiale, selon IHS Market et généré 22 millions de nouveaux emplois. En France, le déploiement commercial de la 5G prévu pour 2020 promet, outre l’explosion des services connectés, une meilleure couverture du territoire, y compris dans les zones les moins bien desservies actuellement.
Boycott américain, retard européen
L’enjeu économique est tel pour l’Hexagone, comme pour les autres pays d’Europe et du monde, qu’il cristallise les tensions entre les États-Unis et la Chine, en pleine guerre commerciale dans la course à la 5G. Le 15 mai, Donald Trump a acté le boycott de Huawei, leader mondial de cette technologie. Par décret, le président américain a exclu du marché US des télécoms les sociétés étrangères jugées à risque, une mesure visant directement le géant chinois accusé d’espionnage. Pour Washington, il s’agirait en réalité de ne pas laisser la Chine prendre de l’avance sur le marché du déploiement de la 5G. Car tout se jouerait en ce moment – ou presque. Alors que la technologie se déploie au Royaume-Uni, en Italie, en Suisse, en Finlande ou en Estonie, beaucoup d’autres pays européens dont la France sont encore mal positionnés dans cette course à l’équipement.
Le retard des opérateurs est d’autant plus préoccupant qu’il s’accompagnerait d’un manque d’intérêt des entreprises, selon une étude de l’l’institut Xerfi. « L’Autorité de régulation des télécoms (Arcep) a fait part de sa déception face à la teneur des expérimentations en cours, constatent ses auteurs. Outre un nombre limité de tests, les demandes émanent à 80 % des opérateurs télécoms. Les pouvoirs publics attendaient aussi des acteurs de l’industrie, de l’énergie, ou encore des infrastructures comme des ports ou des hôpitaux qui visiblement ne sont pas au rendez-vous. »
La 5G, enjeu de compétitivité économique
Aux États-Unis, 194 euros par habitant sont investis dans les télécoms, contre seulement 92 euros en Europe. Cet écart du simple au double représente une menace évidente pour l’ensemble du tissu économique européen, estime Xerfi. « Ce sera un facteur de compétitivité essentiel pour l’attractivité des capitaux et des talents », explique Sébastien Soriano, président de l’Arcep. « Quel qu’en soit le coût, les autorités et opérateurs européens ne peuvent se permettre de manquer le virage de la révolution 5G, au risque de mettre en jeu la compétitivité des nations européennes à l’échelle mondiale, confirme Donia Nefiz, consultant chez MC2I Groupe. Les pays comme la Corée, qui marquent une nette avance dans leur positionnement sur le projet, pourront accroître et automatiser leurs infrastructures industrielles et donc mettre toutes les chances de leur côté pour élever leur place dans le commerce mondial. » Alors que l’Australie et la Nouvelle-Zélande ont elle aussi banni Huawei, les États-Unis mettent la pression pour que l’Union européenne fasse de même. Mais Bruxelles ne semble pas prêt à céder face aux intimidations américaines.
Car en rejetant l’opérateur chinois, l’UE s’expose à 18 mois de retard de déploiement des réseaux 5G et à un surcoût estimé entre 45 et 55 milliards d’euros, selon la GSMA (association mondiale des principaux acteurs de la téléphonie mobile). Une réticence que partage même la concurrence européenne, qui y voit un risque pour le développement du marché. « À court terme, Ericsson peut tirer profit de cette situation ; mais à moyen terme, ce n’est bon pour personne, estime Franck Bouétard, à la tête d’Ericsson France. Cette industrie s’est construite sur des standards mondiaux. Tout le monde serait pénalisé par un morcellement du marché. »
La France et l’UE passent à l’action
Malgré son refus de s’aligner sur la décision américaine, l’Union européenne reste vigilante quant aux risques d’intrusion ou de piratage de la part de puissances étrangères que peut faire courir le déploiement de la 5G. Le 19 juillet, la plupart des États membres (24 sur 28) a transmis à la Commission européenne un rapport d’évaluation des risques sur chacun des territoires nationaux. À partir de ces informations, Bruxelles devrait publier une boîte à outils à destination des pays européens d’ici fin 2019.
En France aussi, les pouvoirs publics prônent une limitation des risques par le biais d’un déploiement contrôlé de l’offre 5G. Le 24 juillet, le Parlement a entériné une proposition de loi limitant l’autonomie des opérateurs mobiles dans la mise en œuvre de la 5G. Ces derniers devront adresser une demande d’autorisation au Premier ministre avant de lancer tout projet d’exploitation. Les acteurs français des télécoms craignent que ces modalités d’application entraînent des délais supplémentaires. Mais selon Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie et des Finances, la nouvelle loi ne devrait pas retarder le déploiement de la 5G en France. Tout devrait se jouer dans les prochains mois…