Recherche et innovation : les atouts du nucléaire français ?
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Assurant 77 % de la production électrique nationale, le nucléaire demeure une ressource incontournable du quotidien des Français. Consciente des enjeux en matière de sûreté et d’impact environnemental, la filière nucléaire accorde désormais une importance majeure à la recherche et à l’innovation, tant au niveau des start-up que des grands groupes.
Trois mois après les déclarations polémiques de Nicolas Hulot sur le report de la baisse de production nucléaire en France, Emmanuel Macron a relancé le débat sur la place de l’atome dans le modèle énergétique national en n’écartant pas la construction de nouveaux réacteurs à l’avenir. « Aucune option ne doit être aujourd’hui a priori exclue, a affirmé le chef de l’État le 13 février 2018. Il n’y a pas de tabou sur le sujet et donc je n’exclus pas l’option [d’ouverture de nouveau réacteurs] mais je ne suis pas en situation de vous dire si ce sera à court terme, à moyen terme, à long terme ou si c’est à exclure. » Si le président et son ministre de la transition écologique et solidaire se montrent aussi réservés sur le ralentissement de la production nucléaire en France, c’est parce que la troisième filière industrielle du pays avec 2 500 entreprises et 220 000 salariés dispose d’atouts que n’offrent pas les sources d’énergie thermique et renouvelable. Plus fiable, plus flexible et plus économique, l’atome présente surtout l’avantage d’émettre très peu de gaz à effet de serre. Grâce au nucléaire, un Français émettrait en moyenne deux fois moins de CO2 qu’un Allemand. Déjà bien engagée vers une sortie du nucléaire d’ici 2022, l’Allemagne compense en effet la perte de production énergétique par un recours fortement accru au charbon. Pour préserver son avance sur les autres sources d’énergie et améliorer ses performances en matière de rendement, de sûreté et d’écologie, l’industrie nucléaire française a entamé depuis plusieurs années une véritable révolution technologique.
Le digital au service du nucléaire
Au coeur de la démarche de recherche et d’innovation, le numérique et le digital offrent d’immenses possibilités à l’ensemble du secteur nucléaire, de la construction au démantèlement des centrales en passant par la production électrique ou le recyclage des combustibles. « La transformation numérique est un des leviers fondamentaux [dans l’industrie nucléaire], témoigne Xavier Ursat, directeur exécutif du groupe EDF. Nous avons sans doute pris un peu de retard. […] Il convient d’aller vite. » Dotée du deuxième plus grand parc nucléaire mondial après les États-Unis, la France a entrepris un vaste programme de rénovation d’une partie de ses 58 réacteurs, dont certains sont en activité depuis près de 40 ans. La R&D constitue à ce titre une étape incontournable pour prolonger leur exploitation en conservant des niveaux de performance et de sécurité optimaux. « Le grand enjeu, c’est de se servir des dernières technologies disponibles en matière de numérique pour faciliter la maintenance du parc et notamment la réalisation du Grand carénage », explique Pierre Béroux, directeur de la transition numérique industrielle chez EDF. L’investissement dans la recherche vise aussi à développer de nouvelles technologies de pointe, comme les réacteurs à neutrons rapides, dits de quatrième génération, capables de consommer tout type d’uranium en réduisant le volume et la toxicité des déchets produits. L’utilisation d’outils numériques et digitaux permet également d’améliorer les connaissances en maintenance prédictive afin de diminuer le nombre d’arrêts non planifiés, de confronter la théorie à la pratique en simulant des scénarios multiples ou encore d’assurer un suivi exhaustif des différentes étapes d’un projet. Autant de gains en productivité et en sécurité. « Le numérique est un des leviers pour obtenir des augmentations de qualité à la fois pour le nouveau nucléaire et pour le nucléaire existant », précise Philippe Knoche, directeur général d’Orano (ex-Areva).
Les industriels comme Orano ou EDF débordent d’inventivité
Du côté d’Orano comme d’EDF, l’innovation est devenue un véritable pilier de croissance, dont dépend la future compétitivité des deux groupes industriels français. Recentré sur le cycle du combustible nucléaire, Orano s’appuie sur la technologie pour recycler 96 % de son combustible, synonyme de déchets divisé par cinq et de 25 % d’économies en ressources naturelles. Grâce à ses innovations, une ampoule sur 10 fonctionne avec du combustible nucléaire recyclé en France. Orano vise encore plus loin en expérimentant l’utilisation de drones pour intervenir à distance, la réalité virtuelle pour former ses collaborateurs et préparer des chantiers ou encore l’usine connectée pour optimiser les procédés grâce aux objets intelligents. Chez EDF, l’innovation s’est progressivement intégrée à la culture du groupe via, notamment, le concours EDF Pulse, qui récompense chaque année les projets les plus innovants dans plusieurs catégories. Les deux industriels français s’appuient sur l’expertise du CEA (Commissariat à l’énergie atomique), qui s’intéresse lui aussi aux nouvelles technologies sur son campus Minatec de Grenoble dédié aux micro et nanotechnologies, premier du genre en Europe et troisième dans le monde.
Pour les industriels, la montée en compétence technologique passe aussi et surtout par la collaboration avec de plus petites structures, dont l’innovation constitue le cœur de métier. Si Orano a créé un site d’information dédié aux PME, EDF se tourne davantage vers le soutien aux start-up. En 2017, l’électricien a lancé un appel à projets via sa filiale Nouveaux business, qui vise à identifier les solutions les plus prometteuses en matière de démantèlement nucléaire. Parmi les cinq lauréats de la première édition, la jeune pousse nîmoise ISYmap s’est particulièrement distinguée avec son prototype de balle connectée, permettant de mesurer à distance la radioactivité d’un site. Preuve de l’intérêt porté pour l’innovation dans le secteur, Orano a déjà adopté cette technologie pour intervenir en urgence sur certaines de ses installations. Des tests de terrain seraient même en cours pour envisager son exploitation à l’international.
Par Benoit Boulard