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Franc CFA : l’enterrement n’est pas pour demain

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Franc CFA : l’enterrement n’est pas pour demain

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Début avril, Abidjan accueillait un sommet extraordinaire de l’UEMOA (l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine), une organisation ouest africaine qui vise à intégrer économiquement les Etats membres. Ce sommet, présidé par Alassane Ouattara, a été l’occasion pour les dirigeants d’Afrique de l’Ouest de faire un état des lieux économique et financier de l’Union, sur fond de débat autour de l’avenir du franc CFA. Si la monnaie unique doit faire face à des critiques, elle demeure un atout de stabilité majeure, de l’aveu des dirigeants d’Afrique de l’ouest.

A l’occasion de ce sommet les dirigeants des huit pays qui composent l’institution (Bénin, Burkina-Faso, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal et Togo) se sont tout particulièrement penchés sur les enjeux et les critiques qui entourent le franc CFA.

Certains, à l’instar de Kako Nubukpo, ancien ministre togolais de la prospective, remettent en question l’arrimage du franc CFA à l’euro. Dans un entretien accordé au journal Le Monde, il déclarait : « le ratio crédit à l’économie sur PIB dans les pays de la zone franc est de 23 % quand il est de plus de 100 % dans la zone euro ». Pour ses détracteurs, le taux élevé du franc CFA nuit à la croissance et la compétitivité des pays africains qui l’utilisent. « On voit bien avec le cas de la Grèce qu’une économie faible qui a une monnaie forte engendre des ajustements très difficiles à soutenir », explique Mr Nubukpo. Il propose une indexation sur plusieurs devises, permettant plus de flexibilité pour les économies d’Afrique de l’ouest et centrale. La critique a été entendue, au point que la France s’est dite « ouverte à toutes les propositions des pays membres ».

Une mobilisation des dirigeants en faveur du franc CFA

Nombre de dirigeants ont pourtant, et dès le début de la rencontre, marqué leur attachement à la devise officielle des huit Etats membres de l’UEMOA. Alassane Ouattara, le président de la Côte d’Ivoire, pays champion de la croissance africaine, a défendu la zone franc CFA qui est, selon lui, « bien gérée avec des réserves en devises très importantes, une croissance forte, une maîtrise de l’inflation et du déficit budgétaire ». Signe de cette bonne santé ? Le Franc CFA « dispose de 5 mois d’impression de réserve alors que la norme est de 3 mois ». Pour lui, la monnaie unique est un facteur de stabilité financière de l’UEMOA, qui explique notamment son taux de croissance quatre fois supérieur à la moyenne du reste de l’Afrique sub-saharienne (6,8% contre 1,6%). En outre, il a permis de maintenir le taux d’inflation aux alentours de -2% en 2016.

Patrice Talon a également rappelé les intérêts du système du franc CFA, mis en place en 1945. Pour le président Béninois, la « parité fixe avec l’euro n’est pas un handicap » – une thèse qu’il partage avec son homologue Camerounais, Paul Biya. Pas question de remettre en cause cette indexation. En revanche, il est prêt à discuter du niveau de la parité : « Ce qu’il faut voir, (…) c’est si le franc CFA n’est pas trop fort, et s’il ne faut pas baisser la parité en maintenant sa stabilité avec cette grande devise qu’est l’euro ». Il met cependant en garde : une dévaluation pourrait « générer pour l’espace ouest-africain beaucoup de pauvreté et de misère », comme en 1994.

Une garantie de stabilité dans un contexte incertain

Si la plupart des dirigeants sont favorables au maintien de cette monnaie, c’est qu’elle apporte justement un certain nombre de garanties. Le franc CFA préserve tout d’abord une certaine stabilité, propice au commerce dans la région, mais aussi avec la zone euro, du fait de la fixité du taux de change. C’est également un signal très positif pour les investisseurs étrangers. « L’existence du franc CFA a eu pour intérêt de protéger les pays qui en sont membres du risque de dépréciation des devises qu’ont subi les autres pays du continent », explique Ludovic Subran, économiste en chef du groupe Euler Hermes. Un atout, surtout en ce moment où le continent traverse quelques turbulences dues à la déprime tendancielle des cours des matières premières (en particulier le pétrole et le cacao) mais aussi à l’atonie de la croissance chinoise qui a ralenti les échanges internationaux.

De même, grâce au franc CFA, l’inflation a été contenue entre 2 et 3% en moyenne sur la période 2000-2015 dans la zone franc, contre près de 10 % dans le reste de l’Afrique subsaharienne (elle a même atteint 16% au Nigéria en 2016). Pascal Lorot, président de l’Institut Choiseul (think tank français qui analyse les questions stratégiques et la gouvernance économique) croit savoir, dans le Nouvel Économiste, « qu’une intégration plus poussée est actuellement à l’étude, qui verrait les deux zones monétaires [UEMOA et CEMAC] fusionner en une seule, permettant ainsi l’utilisation indifférente du franc CFA en Afrique de l’Ouest et du centre ».

L’organisation de ce sommet est la démonstration que le débat autour du franc CFA n’est plus tabou. Trop souvent réduit à un symbole (la période coloniale), cette monnaie régionale offre au contraire, pour les pays de la zone et pour les marchés, de nombreuses opportunités, et constitue donc un enjeu de développement pour les économies locales.

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