Airbnb : pour lutter contre les multipropriétaires, Paris explore les données du site
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Excédée par les pratiques déloyales d’Airbnb, la mairie de Paris vient de se doter d’un nouvel arsenal : un service de data mining pour passer en revue les données du site et dénicher les multipropriétaires hors la loi. Un travail titanesque à l’échelle de la capitale, premier marché de la firme californienne dans le monde.
La chasse aux multipropriétaires qui (ab)usent de la plateforme Airbnb à Paris n’en finit pas. D’après Inside Airbnb – une base de données qui permet d’explorer la manière dont est utilisé le site de location dans différentes villes du monde –, ils seraient 1 523 dans la capitale et généreraient plus de 150 millions d’euros de chiffre d’affaires – soit 100 000 euros par hôte. Une sorte de professionnalisation, donc, bien loin de l’esprit initial de la plateforme, et d’autant plus problématique que les revenus générés sont rarement déclarés à l’administration fiscale. Selon le groupement national des indépendants de l’hôtellerie, 80 % des propriétaires ne déclarent en effet rien aux impôts.
« Location au noir structurée »
Pour tenter de livrer un combat à armes égales, la mairie de Paris s’est donc convertie au numérique, en lançant, le 10 mai dernier, une base de données en accès libre pour recenser les meublés touristiques déclarés dans la capitale. Jean-Philippe Clément, responsable des technologies de l’information et de la communication (TIC) et administrateur général des données de la ville, est chargé de diriger l’exploitation de données du site Internet d’Airbnb en vue d’y dénicher les fraudeurs. « Pour que les contrôles soient plus efficaces, nous cherchons à mettre en place un service big data qui soit capable d’identifier précisément quels logements sont les plus susceptibles d’être touchés, et donc à contrôler en priorité, explique-t-il. Cela serait possible grâce au recoupement d’informations glanées sur les annonces en ligne mais aussi lors des contrôles réalisés par le passé, avec des données sur les types d’appartement les plus concernés, quels quartiers sont les plus sensibles, sur le profil des propriétaires qui pratiquent ce type de location. »
Les multipropriétaires, premiers visés par cette mesure, louent souvent bien au-delà de la durée maximale de location touristique légale, fixée à 120 jours par an dans la capitale. Une limite de quatre mois qu’Airbnb a depuis peu l’obligation de rappeler à ses utilisateurs, en vertu d’un récent accord passé avec la mairie de Paris. Est-ce pour autant que l’entreprise californienne s’y conformera ? Rien n’est moins sûr : Airbnb a en effet tout intérêt à ce que perdure ce modèle de « location au noir structurée », comme le nomme les professionnels du secteur. Aussi fait-elle preuve d’une certaine mauvaise volonté face au durcissement de la réglementation à son encontre, alors même qu’il s’agit d’un mouvement global, tant les grandes villes comme New York, Berlin ou Barcelone sont excédées par les pratiques frauduleuses de la plateforme.
Limiter le nombre de locations de meublés
Pour rappel, entre juillet 2015 et janvier 2016, le nombre total d’hébergements proposés par le site a encore augmenté de 16 % dans l’Hexagone. Or, 85 % des offres portaient sur des logements entiers, soit 35 185, contre 5 826 chambres privées et 463 chambres partagées. Des meublés touristiques loin de dire leur vrai nom puisque seuls 107 logements sont aujourd’hui enregistrés comme tels auprès des services de la mairie de Paris. L’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (UMIH) dénonce régulièrement « la concurrence déloyale d’hôtels virtuels avec parfois une conciergerie, un service de ménage mais sans avoir à respecter des normes de sécurité, d’hygiène et de fiscalité imposées à l’hôtellerie classique ». De son côté, l’Association pour un hébergement et un tourisme professionnels (AhTop) pointe du doigt « les problèmes de vie de quartier, d’accès au logement, de distorsion de concurrence et d’impact sur l’économie engendrés par l’utilisation massive et incontrôlée des plateformes de locations de meublés. » Deux tiers des personnes interrogées dans le cadre d’une étude Harris Interactive estiment ainsi qu’Airbnb contribue à l’augmentation des loyers, quand près des trois quarts voudraient limiter le nombre de locations de meublés.
Car l’expansion d’Airbnb à Paris vient en effet avec son cortège de problèmes : désertification des centres-villes, augmentation des prix de l’immobilier, insécurité et nuisances sonores. « Près de 20 000 logements ont été convertis en meublés touristiques, chassant les habitants du cœur de la capitale », déplore Ian Brossat, adjoint au logement de la maire de Paris, Anne Hidalgo, qui exige, depuis le mois d’octobre 2015, que la société californienne collecte pour le compte de la ville une taxe de séjour – relativement faible (0,86 euros) cependant. D’après ses derniers chiffres, la plateforme compterait 60 millions d’utilisateurs pour un demi-million d’annonces dans 192 pays, la France représentant son premier marché. Avec 41 500 offres de location, Paris devance de loin Londres (33 715 offres), New York (32 575) ou encore Los Angeles (20 891). Le secteur hôtelier traditionnel propose quant à lui 80 190 chambres d’hôtel à Paris.
Crédits photo : AFP/Bureau