Marc Turpin, Charlotte PSC, Edgar D… ces nouveaux internautes qui s’attaquent à l’image de leurs concurrents
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Les marques redoublent de créativité et, parfois, d’agressivité, pour prendre le pas sur leurs concurrentes. Le métier de community manager (CM) en donne une bonne illustration. Ce métier, né avec l’émergence d’Internet, consiste à représenter telle ou telle marque sur les réseaux sociaux, en interagissant avec une communauté de « fans » ou de « followers », bref, de clients potentiels ou avérés. Une interaction qui, si elle est censée répondre à des codes stricts, est avant tout spontanée et agit comme un révélateur sans filtre de la façon dont les marques considèrent les consommateurs. Souvent édifiant.
A rebours du planneur stratégique, qui passe des semaines à étudier le positionnement des marques (pour, une fois fait, aiguiller l’équipe de créatifs dont le travail, après d’interminables brainstormings, aboutira à un changement souvent discret de la stratégie de communication), le CM évolue dans l’urgence. Il forge l’image de marque en temps réel, n’a souvent pas le temps de finasser. Temps court des réseaux sociaux, immédiateté, on connaît tout ça. De quoi confondre vitesse et précipitation, et accoucher de beaux fails comme Internet en raffole.
Au delà du buzz qui en résulte, avec tout ce que ce mot induit de vacuité (aussitôt né, aussitôt oublié), ces faux-pas peuvent écorner durablement l’image des marques. Pourquoi les consommateurs sont-ils si sévères, déconsidérant une marque pour de simples maladresses passagères ? Sans doute parce qu’on peut, par le biais des prises de parole des CM, se faire une idée du véritable ADN de telle ou telle enseigne, de l’humeur qui y règne. Dans ce sens, les CM sont les témoins directs, et beaucoup plus fiables en cela, de la politique des marques, des valeurs qu’elles prônent.
Exemple. En février 2014, le community manager de l’After foot publie trois vignettes d’une bande dessinée sur laquelle on aperçoit un homme et une femme. Première vignette, l’homme demande « qu’est ce qu’il y a en février ? », seconde vignette, la femme, le sourire aux lèvres, répond « la Saint Valentin ? », troisième vignette, l’homme lui assène un violent coup de poing dans la figure en beuglant « la Ligue des Champions Bitch !!! ». Si l’image sera rapidement retirée, plates excuses du CM à l’appui, le mal est fait. Difficile de ne pas se représenter les coulisses de cette émission comme un microcosme où ce genre d’humour, s’il n’est peut-être pas encouragé, passe en tout cas bien. S’il avait pensé déplaire à sa hiérarchie, probable que le CM de l’After foot ne se serait jamais permis pareille incartade.
Idem lors de la remise de la Palme d’Or (festival de Cannes 2013) à La Vie d’Adèle d’Abdellatif Kechiche. Réaction sur le compte Twitter officiel de Canal+ Cinéma : « Est-ce qu’elles vont se lécher le minou pour fêter la Palme d’Or ? ». Tollé sur la toile, tweet retiré, mais les captures d’écran, ennemies jurées des CM, sont déjà faites. Là encore, si cet humour évoque l’esprit Canal, potache et trash à la fois, on assiste à une dérive d’autant moins bien perçue par le public que ce dernier n’a aucun mal à se représenter les locaux de la chaîne comme un endroit où ces blagues homophobes, sous couvert de liberté de ton, sont permises.
Plusieurs blogs moquent ces erreurs de communication à répétition, parfois de vraies erreurs, parfois des seconds sens trop douteux pour être honnêtes. Le plus célèbre d’entre eux est le Tumblr des « pires fails ». D’autres, comme Eric Jean, chargé de mission digitale dans une maison d’édition parisienne ou Olivier Cimelière, de l’agence Wellcom, ont ouvert des blogs en partie spécialisé sur ce phénomène. On peut aussi citer le blog Hall of fame qui a fait parler de lui sur les réseaux sociaux.
Moins pardonnable encore, le Community Manager de Waze, application GPS, s’illustre lui par un recours fréquent à l’humour de mauvais goût, et passe son temps à attaquer la concurrence (Coyote en tête) et… les forces de l’ordre. Pas de fail monumental pour Marc Turpin (milky_way35), qui ne se dissimule pas derrière un compte de marque, contrairement à nombre de ses confrères, juste une accumulation de boulettes (parfois grosses, tout de même) qui sont d’autant plus graves qu’elles n’ont plus l’excuse de la « maladresse » justement (on ne trébuche pas 100 fois au même endroit) mais renseignent directement sur l’état d’esprit durable de celui qui les commet (le CM, Marc Turpin, signe en son nom) et, par extrapolation, de la marque qu’il représente. Aux yeux des internautes, Waze passe donc pour une start-up arriviste et dénuée de tout scrupule, prête à tous les coups bas pour parvenir à ses fins.
On le voit, l’arme CM est donc souvent à double tranchant, d’autant plus quand ces interfaces entre l’enseigne et son public commettent des bourdes pouvant être perçues comme des témoignages crédibles de la réelle politique des marques, une fois leurs stratégies marketing dépouillées de tout artifice. En ce sens, les CM représentent, et c’est là leur principal mérite, une petite parcelle de franchise dans un monde de faux-semblants. Pour le meilleur et surtout pour le pire.